Télé. Les 13 heures et 20 heures sont sur le pied de guerre
contre le mouvement social.
RAPHAËL GARRIGOS et ISABELLE ROBERTS
A chaque grève son héros. En 1968, ce fut Daniel Cohn-Bendit. En novembre 2007, c’est dit, ce sera Jean-Pierre Pernaut, présentateur du 13 heures de TF1 et farouche défenseur de la veuve et de l’usager torturés par les grévistes privilégiés. Depuis lundi, Pernaut bout. Il grommelle, fait des mines et lève les sourcils. Certes, il est comme ça, Pernaut, mais tous les JT sont de la partie, accumulant les poncifs, balayant la pédagogie, relayant sans barguigner la parole gouvernementale. Au point que, chez les grévistes, on se met à virer des AG télés et journalistes. Récit d’une semaine de JT de grève.
La galère
Je suis… Je suis… Top : je suis un bâtiment de guerre, long et étroit, à un ou plusieurs rangs de rames en usage dans l’Antiquité… Je suis ? La galère, bien sûr. Les JT n’ont que ce mot-là à la bouche, entendu des dizaines de fois. Lundi, au sommaire du 20 heures de France 2, « galères en prévision ». Quelques instants plus tard, c’est « une journée galère » qui se dessine. L’image est la même mardi sur TF1 à 13 heures : « Pour demain, prophétise Pernaut, on nous annonce du mauvais temps partout avec de la neige, du froid, de la pluie et du vent, un jour de galère donc pour des millions d’usagers des transports en commun ». Tandis que son collègue PPDA débite de la « galère en perspective ». Pas raté : dans la nuit de mardi, « la galère a commencé » sur i-Télé. Chez les voyageurs, très étonnamment, c’est la galère, ainsi que la perspicace Audrey Pulvar de France 3 le remarque : « Quelle galère ! » On relèvera cette fine analyse par un anonyme jeudi de la situation des transports : « Entre le métro où c’est regalère et le train où c’est galère-galère ».
L’usager
Et qui rame dans la galère ? Point de « voyageurs » ou de « passagers », mais, systématiquement, des « usagers », masse grondante et floue. A la télé, ils sont rois, victimes « résignées » (selon PPDA) de la grève « dure, dure surtout pour les usagers », clame David Pujadas, en ouverture du 20 heures de France 2 mardi. Et on le défend, l’usager. Ainsi Jean-Pierre Pernaut fulminant jeudi : « Troisième jour de galère pour les usagers qui, eux, n’ont pas le choix et doivent travailler jusqu’à 65 ans, et tous les matins. » Car, souligne-t-il mardi à l’appui de sa ligne éditoriale, « plusieurs sondages viennent confirmer l’hostilité des Français à cette nouvelle grève ».
Alors on tend sans cesse le micro à l’usager afin qu’il puisse, sans crainte ni honte, s’exprimer. Plaintif : « Y en a marre, on nous prend en otage, qu’ils aillent prendre l’Elysée en otage ! » (France 2, mardi à 20 heures). Revendicatif : « Faut que la France se rende compte qu’il y a des réformes qui doivent être faites » (même JT, même chaîne). Menaçant : « On va aller voir les grévistes, on va leur taper dessus » (TF1, mercredi à 20 heures). Parfois, l’usager s’organise : ainsi l’Association des usagers des gares a-t-elle eu droit à trois reportages en deux jours sur TF1 ! Emporté par son enthousiasme, PPDA annonce que l’association vient de se créer « face à cette nouvelle grève ». Et qu’importe si, dans le reportage, on apprend qu’elle existe depuis 17 ans… Quand il est étudiant, l’usager devient un « antiblocage », en opposition aux « bloqueurs ». Là aussi, il s’organise contre les grévistes, désignés par Jean-Pierre Pernaut sous le patibulaire vocable d’« individus » (qui ont bien mérité une volée de CRS à matraque). Chez l’antibloqueur, en revanche, « les points de vue sont nuancés » (Pernaut, toujours). Et « les étudiants distribuent des tracts, qu’on soit de gauche ou de droite ». Pas grave si l’un d’eux, interrogé par la suite, est encarté à l’UNI, le très droitiste syndicat étudiant.
La débrouille
Surtout, l’usager est débrouillard. A chaque édition de chaque JT, une nuée de sujets sur « mon usager, mon plan B » ou, variante, « la famille Usager s’organise ». Dimanche soir sur France 2, on filme une femme qui achète des mandarines sur un marché. Commentaire du journaliste : « Le plein de vitamines avant une semaine qui s’annonce très sportive. » Lundi et mardi, les JT alternent les reportages entre vélo, fidèle compagnon de l’usager, et covoiturage. Mercredi soir, dans un même élan, tous nos courageux usagers dorment dans les endroits les plus hétéroclites : les salariés d’un hôtel à l’hôtel (« largesse d’un patron compréhensif » pour TF1 et « l’hôtelier sympa Bruno qui accorde une faveur à son personnel » sur France 2), des infirmières à l’hôpital, et, trouvaille de la Deux, des employés d’une agence d’événementiel… dans une yourte sur le toit du bureau. Ils en sont tellement contents chez France 2, de leur yourte, qu’ils y sont revenus jeudi !
Quelle grève ?
Au fait, c’est quoi, cette grève ? Qui ne s’est informé que devant les JT de la semaine n’en a aucune idée. Les journaux s’entament tous par un sujet sur le trafic, poursuivent avec nos usagers usés, quelques réactions gouvernementales ou syndicales de pure forme, mais d’explication du mouvement, point. Ou si peu. Ou si mal. Outil favori : la comparaison. Lundi soir, France 2 aligne un chauffeur de la RATP face à une conductrice d’une société privée à Rennes. Laquelle juge que « les conditions de la RATP en conduite et en stress sont pires que les nôtres ». Sauf que Pujadas a d’emblée planté le décor : les deux « font le même travail ». Le même soir, PPDA fait son pervers. « Revenons sur les revendications des grévistes », susurre-t-il avant de balancer un sujet en forme de foutage de gueule qui compare les cheminots d’aujourd’hui avec ceux du début du siècle dernier, à grands renforts d’images en noir et blanc de charbon qu’on enfourne dans la bête humaine ! Le lendemain, c’est un conducteur de la RATP que suit TF1. Son salaire ? 2 300 euros. La Une le donne en brut, ça fait plus.
Porte-parole
« La mobilisation syndicale se heurte à la volonté très
claire du gouvernement de créer un système plus équitable de retraites, c’était
dans le programme de Nicolas Sarkozy, il a été élu en partie pour ça. »
Non, ce n’est pas du François Fillon, ni même du Xavier Bertrand, mais du Jean-Pierre
Pernaut, ministre du 13 heures de TF1. Ça suinte de tous les sujets, de la hiérarchisation
des JT, des mots choisis : la télé roule contre la grève. « La
France peut-elle être réformée ? » se désespère Laurent Delahousse
dimanche sur France 2. Quant à l’ineffable Jean-Marc Sylvestre, mercredi à 13
heures sur TF1, il sait : « Les syndicats ont compris
que l’opinion publique ne les suivrait pas dans leur opposition systématique
à une réforme in-con-tour-nable. » Et celle-là : « Notre
obsession, c’est que les usagers soient le moins pénalisés par cette grève. »
Non, cette fois, ce n’est pas un aveu de PPDA, de Pujadas, ni même de Pernaut,
c’est du Fillon. Depuis une semaine, des millions de téléspectateurs – cinq
millions pour Pujadas, sept millions pour Pernaut, près de dix millions pour
PPDA – entendent les JT et le gouvernement leur parler le même langage en stéréo.
En 1968, j'avais 11 ans, à cette époque de toute façon, ma mère m'aurait mis une mandale si j'avais osé lui réclamer des tickets de bus : "à pieds ma fille, j'ai connu la guerre moi, et les privations !". Bon bah à pieds alors, 45 mn, le froid c'est pas vraiment marrant mais ça endurcit.
Puis j'ai connu la grève de 1974, j'avais 17 ans, j'étais toujours à pieds, bien que j'aurais pu prendre le métro. Mais encore eut-il fallu que mes parents eussent pu me le payer chaque semaine. Si bien que je trottinais encore mes 50 mn aller+retour banlieue-Paris 4 fois par jour. Oui pas de sous non plus pour la cantoche, donc mieux valait faire misère à la maison sans que ça se voit.
En 1986, j'ai encore connu la grève en hiver. Ah quel pied, enfin les 2, dans la neige, des congères comme à la campagne. Quel bonheur ! 1 mois quand même. Allez banlieue à banlieue quand on connait le chemin, il ne fait pas moins froid, mais ça parait presque moins long en se fixant des repères, le pont, le lampadaire, l'abri-bus, la rue qui remonte, la placette etc.
En 1988, j'étais précaire. Banlieue-Paris. Etant payée à l'heure, je m'en fichais de la grève, j'avais prévu de ne pas aller travailler et j'ai prévenu mes collègues, "je viens si j'ai la force quitte à ce que ma mission s'arrête comme ça mais la grève c'est la grève". Personne n'a mouffeté mais toutes m'ont fait signe "bravo" avec le pouce.
En 1995, j'ai connu la grève. 1 mois en hiver dans un froid à faire éclater les pierres, et la neige euh gaine. 1 heure et demi aller, 1 heure et demi retour, toujours à pieds. Ca remodèle les cuisses c'est inoui et ça t'affine les genoux, je te recommande en cas de régimes infructueux, une bonne grève dure. Moi, les grèves, même pas mal. Mes parents m'ont élevée à la dure. Je suis du privé. Et même depuis 20 ans je suis payée à l'heure. Alors c'est dire à quel point les petits égoïsmes de bobos ventrus qui s'imaginent que tout ce dont ils bénéficiens a été gagné sans effort, je m'en fiche et je les méprise.
Je veux l'abrogation de la loi Fillon 2003, voyez à quel point "même pas mal". Il parait que Sarko a des sondages confidentiels, il croit que les Français ne sont pas solidaires des grévistes. Il se le met profond, dans l'oeil bien sûr. Perso, j'adore marcher.
Le coup de colère d’Anne-Marie Garat
« En 1933, depuis près de trois ans, le Reichstag avalise sans broncher ; les décisions se prennent sans débats ni votes. Von Hindenburg gouverne un coude sur l’épaule des SPD, tétanisés, un coude sur celle des nazis, bons bougres. Hitler n’a plus qu’à sauter sur l’estrade, grand clown des atrocités, impayable dans son frac tout neuf.
Qui prétend encore que c’est arrivé du frais matin ?
Le sommeil a bon dos, où naissent les songes, et les cauchemars. Mais on ne se réveille pas dans le pire, stupeur, au saut du lit : le pire s’est installé, insidieux, dans le paysage, banalisé par l'apathie ou l’incrédulité des uns, la bénédiction des autres.
Des gendarmes brutaux, grossiers, débarquent impunément avec leurs chiens dans les classes d’un collège du Gers, pour une fouille musclée ; le proviseur entérine, bonasse. Et le ministre de l’Education, qu’en dit-il ? Que dit-il de l’enlèvement d’enfants dans une école de Grenoble, d’eux et de leur famille expulsés en vingt-quatre heures, après combien d’autres ? Qui tient la comptabilité de ces exactions ordinaires ?
Un journaliste est interpellé chez lui, insulté, menotté, fouillé au corps, pour une suspicion de diffamation, qui reste encore à démontrer en justice… Qu’en dit la Garde des Sceaux ? Elle approuve (mutine bague Cartier au doigt, n’en déplaise au Figaro).
Nos enfants, nos journalistes, ce sont encore catégories sensibles à l’opinion. Celle-ci s’émeut-elle ? Mollement. Elle somnole. Mais les réfugiés de Sangatte, chassés comme bêtes, affamés dans les bois ; les miséreux du bois de Vincennes menacés de « ratissage », les gueux de nos trottoirs au vent d’hiver ? Les sans-papiers raflés, entassés dans des lieux de non-droit, décharges d’une société qui détourne le regard ignoble de son indifférence ? Et la masse des anonymes, traités mêmement comme rebut par une administration servile ? Au secours, Hugo !
Il y a de jeunes marginaux qualifiés par la ministre de l’Intérieur d’« ultra gauche » – spectre opportun des bonnes vieilles terreurs –, jusqu’ici, pure pétition communicationnelle… Sa police veille, arme à la hanche, elle arpente, virile, les couloirs du métro, des gares. Sommes-nous en Etat de siège ? A quand l’armée en ville ?
Il y a le malade mental incriminé à vie par anticipation ; l’étranger criminalisé de l’être ; le jeune de banlieue stigmatisé pour dissidence du salut au drapeau : danger public ; le prisonnier encagé dans des taudis surpeuplés – à 12 ans, bientôt ; le sans-travail accusé d’être un profiteur, le pauvre d’être pauvre et de coûter cher aux riches ; le militant associatif qui le défend condamné, lourdement, pour entrave à la voie publique. Il y a le fonctionnaire taxé de fainéantise (vieille antienne) ; l’élu réduit au godillot ; le juge sous menace de rétorsion ; le parlementariste assimilé au petit pois ; la télé publique bradée aux bons amis du Président, qui fixent le tarif ; son PDG berlusconisé et des pubs d’Etat pour nous informer – à quand un ministre de la Propagande ? On en a bien un de l’Identité nationale. Et le bon ami de Corse, l’escroc notoire, amuseurs sinistres, protégés par décret du prince…
Criminalisation systématique de qui s’insurge, dénis de justice, inhumanité érigés en principe de gouvernement. Presse paillasson, muselée par ses patrons, industriels des armes. Intimidations, contrôles au faciès, humiliations, brutalités, violences et leurs dérapages – quelques précipités du balcon, quelques morts de tabassage accidentel –, sitôt providentiellement dilués dans le brouhaha des crises bancaires, de l’affairisme et du sensationnel saignant, bienvenue au JT : touristes égarés, intempéries, embouteillages du soir… Carla et Tapie en vedettes.
Ces faits sont-ils vraiment divers, ou bien signent-ils un état de fait ? En réalité, un état de droite. Extrême. Dire que Le Pen nous faisait peur… Cela rampe, s’insinue et s’impose, cela s’installe : ma foi, jour après jour, cela devient tout naturel. Normal : c’est, d’ores et déjà, le lot quotidien d’une France défigurée, demain matin effarée de sa nudité, livrée aux menées d’une dictature qui ne dit pas son nom. Ah ! Le gros mot ! N’exagérons pas, s’offusquent les mal réveillés. Tout va bien : M. Hortefeux est, paraît-il, bon bougre dans sa vie privée.
“Tout est possible”, avait pourtant promis le candidat. Entendons-le bien. Entendons ce qu’il y a de totalitaire dans cette promesse cynique qui, d’avance, annonce le pire.
Sous son agitation pathologique, un instant comique – au secours, Chaplin ! –, sous ses discours de tréteaux, ses déclarations à tous vents, contradictoires, paradoxales, sous son improvisation politique (oripeau du pragmatisme), sous sa face de tic et toc s’avance le mufle des suicideurs de république, des assassins de la morale publique. La tête grossit, elle fixe et sidère. Continuerons-nous à dormir ? Ou à piquer la marionnette de banderilles de Noël ? »
Anne-Marie Garat
Anne-Marie Garat est écrivain. Son dernier roman : L’enfant des ténèbres Télérama.fr
Le cynisme des chiens Par Jacky Dahomay
Le récit ahurissant fait par un enseignant du Gers concernant l’intrusion dans sa classe de gendarmes et d’un chien, m’a littéralement bouleversé. Et j’ai pleuré. De rage bien entendu. Je suis un vieil enseignant, à la veille de la retraite. Ce métier a été ma seule vocation. Je me suis toujours tenu pour le seul maître dans ma classe après Dieu (s’il existe bien entendu!) et personne n’y entre sans mon autorisation, ni chef d’établissement, ni inspecteur, ni ministre et, a fortiori, ni gendarme ni chien. Impossible! A moins d’un cas de force majeure grave que le chef d’établissement devra m’expliquer au préalable. Je le dis donc tout net: si une telle chose m’arrivait, je donnerais l’ordre aux élèves de désobéir. Telle est mon éthique de professeur. J’estime ma mission d’enseignant plus haute que ma propre sécurité.
L'école de la République vise aussi à former des citoyens incommodes
En vérité, depuis quelques années, les enseignants s’accommodent de bien de choses inacceptables. Oublient-ils ce principe républicain qui veut que l’instruction publique vise aussi à former des citoyens incommodes? Comment en est-on arrivé là? Tout se passe aujourd’hui comme s’il y avait une redoutable confusion des rôles, des institutions comme de leurs fonctionnaires. De toute évidence, au niveau des responsables de l’Etat comme au sein de la population, il y a confusion entre l’espace public propre à l’école et d’autres formes d’espaces publics ou communs. Or, l’école n’est pas publique au sens ou peuvent l’être les chemins de fer, les télécommunications ou la place du marché. Cela fait des années qu’on croit bien faire en ouvrant l’école sur l’extérieur. La rue y est rentrée, avec son lot de désagréments. Si la rue peut enrichir l’expérience, seule l’école donne une véritable instruction. Comment des vérités aussi élémentaires peuvent-t-elles avoir été oubliées? Admettons qu’un policier ait toute légitimité pour procéder à des fouilles dans les aéroports et dans la rue (à condition bien sûr que cela ne s’adresse pas qu’aux basanés!): cela lui donne-t-il pour autant le droit de se substituer à l’autorité du maître dans sa classe? On a souvent du mal à distinguer entre le maître qui impose une domination et le maître qui exerce un magistère. Et comme ce principe s’est perdu, le maître-chien, fût-il gendarme, se sent autorisé lui aussi à prendre la place de l’enseignant à l’école. Et quand un magistrat se permet de croire que la peur du gendarme introduite brutalement à l’école est ce qui préservera les élèves de la délinquance, on se demande, bien que n’étant pas Gaulois, si le ciel n’est pas tombé sur notre tête! La peur et la répression ont remplacé la mission éducative de l’école. Quel échec!
De la pratique quotidienne du massacre de citoyens
Sait-on simplement que lorsque le chien et le gendarme se substituent à l’autorité du maître à l’école, c’est que les loups hurlent déjà aux portes de nos villes. Il s’ensuit en général un bruit de bottes sur les trottoirs. Mon cœur donc gronde de colère et qu’on le laisse faire! Il y a des moments où la raison raisonnante devient impuissante et laisse place à l’indignation. Toutefois, des chiens, préservons-nous de leur rage et de leur cynisme. J’emprunte cette expression "le cynisme des chiens" à Chateaubriand qui, dans ses "Mémoires d’outre-tombe", l’utilise pour qualifier les révolutionnaires qui, sous la Terreur, bons père de famille, emmenaient leurs enfants se promener le dimanche en prenant soin de leur montrer en passant le dada des charrettes qui conduisaient des citoyens à la guillotine. Le cynisme est dans la contradiction voulue et assumée opposant les grands principes humanitaires qu’on affiche et la pratique quotidienne du massacre de citoyens. Aujourd’hui, nous avons affaire à une autre forme de cynisme. Dans le spectacle que donne à voir par exemple le Gouvernement actuel de la France. Le président, Nicolas Sarkozy le premier. Loin de moi l’idée de vouloir l’affilier à une quelconque gent canine. Mais son cynisme consiste à affirmer une chose et son contraire, à soutenir un ministre un jour, à le désavouer le lendemain, à parler constamment à la place de ses ministres. Dans son agitation ultra médiatisée, il procède à une véritable désymbolisation constante des institutions de la république. Il y a bien là un travail d’affaiblissement de l’autorité de ces dernières. Pour parodier Hannah Arendt, disons qu’il y a aussi perte d’autorité quand les adultes refusent d’assumer le monde dans lequel ils ont mis les enfants, les vouant ainsi à une culture de la violence. Le refus de l’éducation est l’étalage de la répression et le culte de la sécurité. On croit que la sécurité n’est qu’une affaire de police alors qu’elle réside avant tout dans le contrat liant les citoyens, contrat implicite et symbolique comme sortie de l’état de nature. C’est ce refus de l’éducation qui pousse à vouloir incarcérer des enfants de douze ans. Reste maintenant à obliger des psychiatres à inventer une substance antiviolence qu’on inoculerait aux femmes enceintes, sans leur consentement bien entendu.
Insidieusement se met en place une forme de totalitarisme forcément inédite
Tout cela est grave, très grave. La démocratie ne fait pas toute la légitimité d’une république. Un pouvoir tyrannique peut se mettre en place démocratiquement. L’histoire, comme on sait, ne se répète pas et les formes de totalitarisme à venir sont forcément inédites. Nous sentons bien qu’une nouvelle sorte de régime politique, insidieusement, se met en place. Quand, à l’heure du laitier, un journaliste est brutalement interpelé chez lui, devant ses enfants; quand des enfants innocents sont arrachés de l’école et renvoyés dans leur pays d’origine; quand une association caritative est condamnée à de lourdes amendes pour être venue en aide aux sans abris; quand… Même si nous n’avons pas encore tous les éléments théoriques permettant de penser ce régime inédit, il se "présentifie" déjà avec des signes certains de la monstruosité. Face à tout cela, le PS, principal parti d’opposition, se déchire lamentablement. L’heure serait-elle venue, pour nous enseignants du moins, d’entrer dans la désobéissance civile? Je ne parle peut-être pas d’outre tombe mais je suis d’outre-mer. Comme beaucoup d’Antillais, j’ai aimé une certaine France malgré l’esclavage et la colonisation, malgré Vichy et la collaboration. Cette France qui à deux reprises, a su abolir l’esclavage, celle qu’on a cru ouverte aux Droits de l’homme et aux valeurs universelles. Celle dont l’école, malgré ses aspects aliénants pour nous, a su donner le sens de la révolte à un Césaire ou à un Fanon. Qu’il faille dépoussiérer cette vielle école républicaine ne signifie pas qu’on doive la jeter avec l’eau du bain. Est aussi à réviser cette identité républicaine hypocrite qui a du mal à s’ouvrir à la diversité. Et quand on constate que monsieur Brice Hortefeux, ministre de cet affreux ministère de "l’Intégration, de l’identité nationale et de l’immigration", aux relents franchement vichyssois, se permet de réunir, à Vichy précisément, les ministres européens chargés des questions d’immigration, on peut légitimement penser qu’il y a là une continuité conservatrice inquiétante. Ce ministre rend visite le 10 décembre au Haut conseil à l’Intégration. Je n’y serai pas. J’annonce ici publiquement ma démission du HCI. Cette France qui vient ou qui se met en place sournoisement, je ne l’aime pas. Devrions-nous alors, d’outre-mer, faire dissidence? Je ne sais pas. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que la plus grave erreur serait de se dire, comme à l’accoutumée, que les chiens aboient et que la caravane passe. Jacky Dahomay est professeur de philosophie à la Guadeloupe et démissionnaire du Haut conseil à l’Intégration.